Un soutien à la création en burn-out ?
Les rues sont plutôt minérales, grises et assez austères, institutionnelles. Mais la ville de Genève compte un grand nombre d’initiatives artistiques alternatives, indépendantes, auto-gérées, émancipées, anarchistes. Certaines sans ressources financières, d’autres bien soutenues par les collectivités publiques et les nombreuses fondations privées.
En surplomb de ces rues enveloppées par les montagnes, le campement de la BIG (Biennale Intrépide des espaces d'art de Genève) installé dans le bois de la Bâtie est très coloré et léger, comme des tentes faites de toiles de cerf-volants. Avec une centaine de collectifs installés dans ce "village de cabanes triangulaires", la BIG "célèbre le courage, la persévérance et la résilience des espaces d’art indépendants et collectifs genevois".
Le village vit plutôt la nuit et les week-ends avec un programme d'installations, de performances concerts, projets radios et autres échanges. Je fais le tour des différentes cabanes et des installations, plus ou moins élaborées, souvent en attente d'être activées (pas toujours évident de savoir quand ça commence), mais le gros orage du soir ne permettra pas de profiter pleinement du programme. Il faudrait pouvoir revenir dans ce campement artistique pour profiter de ce qu'il s'y joue.
Cependant, en fin d'après-midi j'ai pu assister à la rencontre "Acteuricexs culturellexs – jusqu’où va le don de soi ?": "À partir de partages d’expérience, elle invite à questionner nos métiers et nos manières de faire, à croiser les regards sur la précarité, l’épuisement, la charge invisible et à imaginer ensemble des manières plus vivables, durables et collectives de s’engager dans le champ culturel." Modérée par Thaïs Juillerat , la discussion a réuni Ruth Munganga Muganga, Emmanuel Cuénod, Stéphanie Prizreni et Nina Langensand, elles et il m'ont permis d'en savoir un peu plus sur la situation des lieux et collectifs artistiques indépendants et de celles et ceux qui les animent.
Les budgets publics pour la culture augmentent, et pourtant il semble de plus en plus difficile d'obtenir un soutien. La situation décrite ressemble en partie à celle dans les grandes villes françaises : le nombre de demandes de subventions augmente, l'expertise en charge du pilotage culturel diminue (mais avec un renforcement important de l'expertise juridique qui allonge les délais de traitement des conventions). On est sur un traitement Excel des subventions avec un manque de vision politique de la culture, finalement de plus en plus de personnes sont payées pour refuser les demandes.
Difficile à entendre pour les actrices et les acteurs: les politiques ne cessent de parler du besoin démocratique de s'exprimer mais on soutien moins les arts et la culture. Et le coût de la vie a Genève a fortement augmenté, pas les salaires ! Plusieurs lieux alternatifs majeurs étaient des squats auto-gérés, souvent portés par les bénévoles qui se logeaient plus facilement qu'aujourd'hui et pouvaient trouver une activité alimentaire. Aujourd'hui, ces lieux sont animés par des équipes professionnelles qui souhaiteraient vivre de leur travail.
Un lieu toujours porté par des bénévoles évoque même le sentiment d'être en concurrence les nombreuses offres culturelles gratuites de la Ville (on leur reproche parfois de faire payer les entrées). Impossible de passer sur une économie complètement commerciale en raison des conventions de subvention (et le changement de culture qui irait avec pour le lieu), mais l'envie guette : ne plus demander de subventions pour retirer une charge mentale qui devient trop forte.
Toutes ces interventions résonnent fort avec l'expression du besoin pour les artistes de prendre soin de soi (en particulier les femmes et les mères) et éviter le burn-out. Cela pourrait passer par le lien, le réseau, la communauté. Mis a part un intervenant qui ayant passé les 50 ans n'y crois plus, la robustesse qu'apporte le collectif semble accorder toutes celles et ceux qui participent à la rencontre.
Le mot "burn-out" boucle la conversation : c'est peut-être le système de subventions et la politique culturelle qui est en burn-out ?