Notes sur les rencontres professionnelles d'Avignon 2024

Après trois rencontres professionnelles au Festival d’Avignon, j’avais le sentiment que l’inquiétude dans le spectacle vivant porte autant sur la “fin du monde” que sur la “fin du mois”. Mais aussi que des pistes de changement institutionnel possibles se dessinent.

Eco-conception de spectacles - Quelles conséquences sur les cycles et procédures de production, les compétences et les métiers ?

La rencontre de l' ACDN / Association des Centres dramatiques nationaux et Les Augures Laab sur l'éco-construction, débutait sur le concept d'écophanie (une conscience augmentée de la crise) et suivait par la présentation détaillée de l'atelier de fabrication responsable du Théâtre de l'Aquarium

  • Encore en phase d'expérimentation, quelques résultats sont déjà évidents: de par la contigüité de l'atelier de fabrication et du plateau, scénographie et contenu du spectacle se travaillent en même temps, la création se fait "à l'échelle 1". Mais cette création plus collective, plus autonome aussi, nécessite du temps et des formations pour coordonner un tel projet mêlant atelier de fabrication et ressourcerie.

  • Le site de l'Ecothèque est une richesse impressionnante, qui rend visible le travail d'un de professionnels de la scénographie (scénographes, écoles, fabricants, bureau d'étude, ressourceries) pour une évolution vers des pratiques professionnelles plus durables, à travers une communauté de connaissance et de recherche-action.

  • La présentation de la création scénographique de l'opéra "David et Jonathas", co-produite par 6 théâtres (dont Théâtre National Populaire / Villeurbanne) selon des normes éco-responsables, soulignait les limites de la démarche: tout particulièrement la lourdeur administrative (complexité du calcul d'impact), l'absence de normes communes dans l'équipement des théâtres qui nécessite la conception ou l'achat d'éléments spécifiques pour la production, l'impossibilité du fait des droits d'auteurs de réutiliser les éléments du décors avant 5 ans...

  • Le développement des ressourceries à travers la France, bien qu'écologiquement vertueuse, pourrait impacter le secteur de la scénographie. Accédant plus facilement à des stocks d'accessoires et de décors, les productions du théâtre privé pourraient être tentées de ré-utiliser tels quels ces éléments, diminuant les besoins de conception, d'adaptation et de fabrication.

  • Et puis enfin ce témoignage (rapide) du directeur technique de La Comédie de Valence partageant sa conscientisation des enjeux pour son lieu et son envie d'agir avec les autres lieux de son département.

A consulter:

Paysage du spectacle vivant : quelle recomposition avec les compagnies qui survivront à la crise ?

L'association LAPAS a organisé une rencontre intitulée "Paysage du spectacle vivant : quelle recomposition avec les compagnies qui survivront à la crise ?", reflétant l'inquiétude des équipes de création.

  • Selon l'enquête-flash de LAPAS mise-à-jour, le nombre de dates de tournée pour la saison 2024-25 serait en baisse de 26% par rapport à la précédente, dont 33% pour celles en tout public. L'activité des compagnies se tasse, précarisant les équipes qui privilégient la production de nouveaux spectacles à la diffusion pour maintenir leur chiffre d'affaires et l'emploi. 36% des bureaux de production connaissent également une baisse d'activité avec une charge administrative en hausse.

  • Phia Ménard, directrice artistique de la Compagnie Compagnie Non Nova, constate une diminution de 45% des dates de tournée et le report de nouvelles créations. Le rapport 70/30 ventes/subventions s'est inversé, revenant à ce qu'il était il y a 10 ans. Les aides à la relance post-COVID ont masqué une situation économique de plus en plus défavorable aux compagnies.

  • Pour Bérénice Hamidi, la crise n'est pas seulement économique mais idéologique. Le théâtre public concentre les tensions du modèle républicain, avec un défaut de représentativité des publics (identifié depuis les années 60) et des inégalités (pas uniquement de genre) légitimées dans le débat public mais face auxquelles la réaction reste limitée. Les artistes et le secteur en général ont des savoir-faire et une combativité qui peuvent permettre de trouver des réponses à ces problèmes systémiques

  • Jean-Pierre Saez souligne que les compagnies indépendantes sont essentielles au service public du spectacle vivant. Depuis 2000, on parle d'une crise de surproduction, à laquelle on peut répondre par une logique libérale (le marché) ou prospective (inclure la recherche dans le cycle production-diffusion). L'érosion des moyens a impliqué un affaissement politique de l'ambition culturelle, l'instrumentalisation du spectacle vivant par les collectivités et une plus grande difficulté des acteurs à travailler sereinement. Plusieurs pistes de sortie sont envisagées : une interpellation collective des acteurs, la valorisation du travail des compagnies au-delà de la production-diffusion, et la prise en compte d'une crise sociétale voire civilisationnelle.

A écouter:

Photo: rien à voir, c'est le recto de la feuille de salle de Niagara 3000, Fire of Emotions, le marquant spectacle de Pamina de Coulon qui met la pensée en mouvement


© Nicolas Bertrand