Quelques jours à Sarajevo

Du samedi 11 au mercredi 15 janvier 2014, je suis allé en repérage à Sarajevo, ville que je ne connais que de la couverture médiatique et artistique de son siège, il y a presque 20 ans.

Il y a quatre théâtres à Sarajevo : le Théâtre d’Etat, le Kamerni Teatar 55, le Pozoriste za mlade (Théâtre pour la Jeunesse) et le SARTR (Sarajevo War Theatre).

Au Pozoriste za mlade, j’ai été reçu par le directeur technique et une jeune femme apprenti-scénographe anglophone qui, après m’avoir donné la possibilité d’assister à une représentation du Chat Botté, m’ont fait visiter le théâtre. Le directeur, Nermin Tulić, ayant quelques soucis de santé. La salle de 200 places, avec un plateau surélevé conçu à l’origine pour des spectacles de marionnettes, est chaleureuse et agréable. Y sont programmés tant des spectacles de théâtre et de marionnettes pour le jeune public que pour adultes, classiques et contemporains (notamment des auteurs bosniaques), ainsi que des concerts de jazz auxquels se prête bien cette salle à l’esthétique socialiste rénovée il y a quelques années.

Le théâtre public bénéficie de son Ensemble et compte environ 25 employés au total (dont une quinzaine de comédiens de différentes générations) et joue 4 à 5 représentations par semaines (il dispose d’un répertoire de près de 30 spectacles). Le théâtre a également présenté, plusieurs années après la guerre, des expositions de photojournalisme (dont le World Press Photo). Il dispose d’une site internet en bosniaque et anglais.

Avec le Kamerni Teater 55 tout proche, les deux lieux sont restés très actifs pendant le siège de la ville (toujours pleins dit-on), du fait de leur accès « protégé ». C’est notamment au Pozoriste za mlade, dans une petite salle sous-terraine actuellement lieu de stockage de décors, que Suzanne Sontag a créé son Godot.

Le SARTR a été fondé au début de la guerre, rassemblant acteurs et collaborateurs de différents théâtres, reconnu comme outil de défense militaire par les autorités. Nihad Kreševljaković le dirige depuis deux ans : enfant de la guerre, comme il se définit lui-même, la mémoire de cette période est au cœur de certains projets qu’il mène au sein du festival MESS et dans plusieurs projets du SARTR. Le bâtiment est récent (situé près de l’Ambassade de France), la salle plutôt bien adaptée à des formes contemporaines (plateau moyen, jauge d’environ 300 spectateurs). Le fonctionnement du lieu est assez traditionnel avec un ensemble de 11 comédiens (plutôt jeunes) et au total 27 employés, mais Nihad (qui comme la plupart des institutions publiques doit faire avec les aléas de versement des salaires et soutiens de l’Etat) semble être dans une dynamique d’ouverture du répertoire et de coproduction malgré les contraintes d’une telle institution. Le SARTR participe d’ailleurs à un projet du British Council.
Nihab me fait part de son intérêt à travailler sur un projet de la Compagnie avec des enfants et suggère la création d’une pièce pour leur répertoire.

De loin en loin, j’avais rencontré à plusieurs occasion Brahim Spahic, directeur du Winter Festival de Sarajevo. Je le retrouve dans la petite salle d’exposition de sa fondation dans le quartier historique automan. Des photos de la guerre en noir et blanc sont accrochées sur les murs, chacune est l’occasion de partager une histoire de la ville, de la période glorieuse des jeux de 1984 aux années terribles de la guerre et ce qu’il en reste aujourd’hui. Il est très habité par ses histoires, relate ses faits de gloires politico-culturelles et ne manque pas de souligner l’importance pour lui, pour la ville, pour le pays de collaborer avec nous.

Le lendemain, sur ses conseils, nous avons organisé une réunion avec Vesna Bajšanski-Agić, directrice de Mozaik, avec qui Brahim souhaite déposer une dossier européen. L’ONG intervient particulièrement dans le champ social, et soutien le développement économique des jeunes gens. Elle a également fondé deux sociétés : l’une est une ferme bio, l’autre (particulièrement rentable) est spécialisée dans l’organisation logistique et technique d’événements. L’ONG compte 23 salariés, Vesna est particulièrement fière qu’ils fassent partie des différentes minorités. Gérée comme une entreprise, Mozaik ne travaille pas dans le champs culturel mais, achève un projet de guide touristique en plusieurs langues conçus avec plusieurs villes ayant un patrimoine du Moyen-Âge.

J’ai essayé de rencontrer en vain Dino Mustafic (directeur) et Selma Spahic (directrice artistique) du festival MESS mais les deux étaient en création l’un à l’étranger, l’autre au Théâtre National. Mais j’ai pu discuter quelques minutes avec certains membres de l’équipe, très jeunes pour un festival plus âgé qu’eux, travaillant à temps partiel pour le MESS et d’autres festivals. Le festival s’intéresse particulièrement au théâtre contemporain, en salle et in situ, et travaille donc avec la plupart des lieux. Les interrogeant sur la danse contemporaine, ils me disent ne pas connaître de chorégraphes ou d’artistes à Sarajevo.

En allant à la Galerie Duplex 100m2, je m’attendais à trouver un espace d’exposition conventionnel, plutôt tourné vers la vente d’artistes des balkans. Mais c’est plutôt un espace de recherche, d’élaboration, de production, de rencontre où j’ai été invité par Pierre Courtin et plusieurs artistes de Sarajevo à boire du raquia et fumer. Il y avait là, notamment, Jusuf Hadžifejzović (l’un des principaux artistes bosniaque et initiateur du Charlama Depot). Pierre est un médiateur formidable, ouvert à toutes formes d’art, à tout ce qui peut faciliter la rencontre et la reconnaissance de Sarajevo.

Ce court séjour m’a permis de découvrir plusieurs acteurs culturels de Sarajevo et de rencontrer un peu cette ville. Je n’ai pu visiter le Kamerni Teater 55, le Théâtre National ni le Centre André Malraux, mais ce n’est que partie remise.

Evidemment la mémoire de la guerre y est encore très vive, la question du vivre ensemble et de la démocratie toujours particulièrement d’actualité. Une ville dans l’actualité de par son histoire qui cherche à se projet dans le futur.


© Nicolas Bertrand